Cueille ta vie #4 — Mes 10 kifs de 2019

Flora Clodic
12 min readDec 18, 2019

Cela devient une tradition… Pour la quatrième fois, je ressens le besoin de faire le bilan, avant cette petite trêve hivernale. Pas seulement pour faire un inventaire à la Prévert, mais pour recenser ce qui a vraiment compté cette année et tracé un sillon profond à l’intérieur de moi.

Le plus drôle, c’est toujours de constater comme l’année a été différente de ce que je projetais qu’elle serait… Il y a un an, je partais m’installer à Bruxelles, pour lancer un cabinet d’accompagnement de profils atypiques. Je faisais une croix sur Paris, tout en m’assurant de ne pas rester trop loin, pour pouvoir mieux revenir…

Un an plus tard, me voilà dans une ferme en permaculture du Cantal, auprès d’un homme qui m’a fait redécouvrir que je pouvais aimer et être aimée. N’en déplaise à celles et ceux qui trouveraient ça « cul-cul », l’amour, c’est la base…

Alors, me voilà partie pour une petite plongée dans cette année 2019 qui prolonge une transformation déjà en cours et n’a fait qu’attiser mes colères et mes envies d’engagement, dans l’action et dans la matière.

1. Faire le grand saut et aimer ça, malgré le vertige

Une Parisienne communicante qui déboule dans un trou paumé du Cantal pour y vivre après plus de 30 ans de vie urbaine, ça donne quoi ? Contre toute attente, je trouve que je ne m’en suis pas mal tirée ! Je suis encore loin de la maraîchère accomplie, et Mathieu devra repasser pour la femme au foyer qui lui mijote des bons petits plats en reprisant ses chaussettes.

N’empêche, je me suis plutôt bien acclimatée à la vie ici. J’ai appris à mettre en place la technique de la pelure d’oignon (simple : plus il fait froid, plus tu mets de couches…). A faire un repas avec rien plutôt que de sortir faire des courses inutiles dès que la flemme se faisait sentir. A travailler différemment et à revivre, loin de l’agitation de la ville qui ne faisait qu’exacerber la mienne.

Je me suis fait des amis, autour de nous. Ils sont peu nombreux mais ils sont présents, même quand on ne les voit pas. J’ai aussi découvert avec eux la « vraie » entraide, sur des choses essentielles. Pas des amitiés de pacotille comme on en cultive parfois dans les milieux mondains. (Ceci n’est pas un reniement, je me suis fait et garde de très bons amis de cette vie d’avant… Juste, je regarde d’un œil nouveau cette vie pleine de divertissements… et de masques sociaux.)

En vivant ici, je me suis allégée. Dépouillée. J’ai remis beaucoup de choses en question, en cause, même. Et j’ai confirmé qu’il était temps de se séparer de dissonances cognitives qui me faisaient mal. (Nota bene : je ne me pose pas en exemple, loin de là. J’aimerais beaucoup en particulier réussir à arrêter de fumer POUR DE VRAI… Mais c’est un long chemin.)

2. Contribuer à faire sortir de terre Yggdrasil

Dans les aventures professionnelles qui ont marqué mon année, il y a bien sûr Yggdrasil. Ygg-quoi ? Y-G-G-D-R-A-S-I-L, l’arbre-monde de la mythologie nordique. Un nouveau magazine sur l’effondrement et le renouveau. Rien que ça ! Avec une équipe incroyable, emmenée notamment par Yvan Saint-Jours, grand éditeur de magazines (La Maison Ecologique, Kaizen), et Pablo Servigne, co-auteur d’ouvrages de référence en France sur l’effondrement de notre civilisation (Comment tout peut s’effondrer ?, Une autre fin du monde est possible…).

Nous avons mené une campagne de financement participatif au-delà de nos espérances (plus de 160 000€ avec plus de 3000 contributeurs·trices). Je peux le dire après coup : c’était sport ! J’ai rarement eu à courir après une campagne, comme ça. Elle cavalait presque toute seule ! Ces moments-là soudent une équipe et révèlent beaucoup de chacun de nous.

La sortie du numéro 1 s’est aussi faite sur les chapeaux de roue. Yvan et Pablo, faut les suivre ! J’ai eu la chance de sortir ma plus belle plume pour un portait de l’ami Jean-Pierre Goux et sa révolution bleue. Une belle réussite, ce lancement, aussi grâce à notre site Internet, que j’ai pondu dans la sueur avec Raphaël Martinez, notre cher dev de Human’s IT (dédicace !). Idem pour le numéro 2, qui confirmait un beau succès. Le troisième opus sort tout juste, et il envoie du bois. Doux et ferme.

Pour plein de raisons personnelles, j’ai préféré quitter mon poste opérationnel fin septembre. Je reste très attachée à l’équipe et au projet éditorial, et je compte bien reprendre de la plume très bientôt. Quelle joie d’avoir pu aider Yvan, Pablo (et le sacré Denys) à faire sortir de terre ce bel arbre !

3. Privilégier la stratégie à l’opérationnel

Après Yggdrasil, il a fallu réfléchir profondément à ce que je voulais faire. J’ai réalisé que j’avais mené pas mal de campagnes de financement participatif. De A à Z et jusqu’à la moelle ! Je devais trouver une nouvelle manière d’aider les autres à avancer dans le développement de leurs projets, mais en m’impliquant différemment.

J’ai trouvé une solution qui me parait la bonne : me concentrer sur l’accompagnement stratégique et déléguer l’opérationnel à « des brebis à cinq pattes », qui me ressemblent tout en étant différentes de moi (coucou, Julie !).

J’ai découvert un autre public qui semblait aussi avoir besoin de mes modestes lumières : les associations. En cette fin d’année, j’accompagne notamment l’équipe d’InSite, qui envoie des jeunes en service civique dans des territoires ruraux pour mener des projets à visée sociale ou environnementale ; et l’équipe du Wutao, un art corporel qui se déploie pour ses 20 ans et créé un nouveau studio en Arles. Enfin, je m’inscris aussi davantage sur mon territoire, en accompagnant Graille de Terroirs, un restaurant d’Aurillac.

2020 s’annonce riche, mais je m’assurerai de ne pas me surcharger. Je ne veux plus travailler trop, comme avant. C’est une pente naturelle chez moi, que je m’emploie à corriger…

4. Découvrir la puissance de la permaculture

Cette année, j’ai aussi découvert que j’étais une permacultrice en devenir, sans le savoir. Dans mon travail, j’appliquais déjà un certain nombre des principes de la permaculture, que j’ai aimé découvrir et approfondir auprès de Mathieu, avec ses stages donnés dans le cadre de Prise de Terre, mais aussi dans notre vie quotidienne.

Vannerie, greffage, potager, autonomie énergétique, plantes sauvages : j’ai suivi tous les stages courts de la saison de Prise de Terre. Grands moments de découverte et de confrontation à moi-même ! J’étais douée avec ma tête et pour faire courir mes doigts sur un clavier, mais alors, il allait falloir persévérer un peu pour sortir de ma gaucherie et de mes jugements permanents sur moi-même. Le plus important : j’ai éprouvé tant de plaisirs ! Tresser un panier de mes mains, foirer une greffe mais voir quand même l’arbre repartir, planter des radis dévorés par les rats-taupiers, cuisiner des « mauvaises herbes » et réaliser une fois de plus qu’on nous conditionne bien…

En octobre, j’ai suivi le cours de design en permaculture (13 jours intensifs et intenses sur de nombreuses thématiques permacoles) que Mathieu donne chaque année à la ferme de la Bouzigue, près de Toulouse. Quel groupe, quelle énergie ! Et quelles claques ! On est tous repartis dans nos vies, un peu flapis ! Cela nous a permis, à Mathieu et à moi, de mettre sur le tapis un certain nombre d’éléments de notre vie quotidienne. Parait-il qu’il arrive que les cordonniers ne soient pas toujours les mieux chaussés !

Je me suis liée avec de nombreuses personnes de ce groupe, notamment avec deux femmes incroyables, avec qui j’ai refait un stage de permaculture sociale. Là, l’enjeu, c’était plutôt d’appliquer les principes de la permaculture à la facilitation des groupes. Et bim, dans ta face, Flora, le sentiment de décalage ressenti depuis toujours à l’intérieur d’un groupe ! J’ai pu le questionner, le malaxer. Le digérer aussi.

L’exploration continue en 2020, avec d’autres stages à suivre (herboristerie, techniques d’autonomie, travail qui relie…), mais aussi de la co-animation avec Mathieu !

5. Apprendre que je pouvais hybrider au lieu de tout jeter

Les premiers mois ici, j’avais l’impression que tout ce que j’avais appris jusque-là ne m’était d’aucune utilité. J’avais fait toutes ces études, noirci toutes ces pages, fait toutes ces choses diverses et variées, mais ça me servait à quoi pour savoir comment prendre soin d’un jardin, devenir autonome en électricité ou cuisiner les plantes sauvages ?

Et puis, un jour, j’ai eu un déclic. Marc Lepelletier est venu tourner chez nous pour sa websérie Petit Manuel de résilience. On venait de faire une interview où il me demandait ce qu’était la résilience pour moi, où j’en étais de mon cheminement depuis que j’étais arrivée etc. En off, il m’a demandé si j’avais envie de laisser tomber toutes mes activités professionnelles pour aider Mathieu. Et bien, la réponse était non.

Après son départ, j’ai décidé de lancer mes propres stages chez nous. Pas d’attendre un hypothétique moment où j’aurais suffisamment appris autre chose pour le transmettre, non. Juste de partager ce que je fais / sais déjà. En avril, j’animerai en binôme un stage sur la communication et le financement participatif, avec une approche qui mêlera coaching et permaculture.

Je n’ai depuis que ce mot à la bouche : HY-BRI-DER. Un certain nombre des compétences que j’ai acquises ces dernières années — notamment la capacité à créer des liens entre les gens et entre les choses — sont en fait extrêmement utiles dans les contextes dans lesquels j’évolue désormais.

6. Me réapproprier mon temps

Au fil des mois, j’ai fait un truc dingue : réapprendre à ne rien faire. Garder des plages entières sans programme précis. Me remettre à lire comme je l’aime tant, frénétiquement.

Histoire globale, effondrement, autonomie, éco-féminisme, plantes sauvages, douance, éco-psychologie : j’ai retrouvé le goût de me plonger dans des livres passionnants, ardus pour certains (Cataclysmes de Laurent Testot ou Les Furtifs d’Alain Damasio m’ont demandé pas mal de concentration et d’attention malgré le grand intérêt que je leur portais…). J’ai aimé lire, même s’ils sont durs, Ne plus se mentir de Jean-Marc Gancille et Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce de Corinne Morel-Darleux (et m’offrir le kif de faire une interview croisée d’eux deux que j’attends toujours de voir paraître… #Patience).

Je suis aussi retournée au Village des Pruniers, ce village bouddhiste où l’on pratique la méditation de pleine conscience. Je n’y arrive pas toujours (et surtout pas toujours quand j’en ai vraiment besoin…) mais je médite beaucoup plus régulièrement. Je me concentre mieux, je suis moins hyperactive et je subis moins mes angoisses en tout genre…

Surtout, j’ai constaté que faire de la place au vide, ça laisse de la place à l’inattendu, à l’essentiel, à la surprise. Ça fait le tri et ça me grandit.

7. Reprendre les événements d’Au Bonheur des Zèbres

En 2018, Au Bonheur des Zèbres avait pris une ampleur considérable, un peu à l’insu de mon plein gré. Après la campagne de financement participatif, j’avais eu un gros coup de blues et beaucoup de doutes… Est-ce que j’avais bien envie de faire tout ce que j’avais promis aux gens ? Il m’a fallu pas mal de temps pour digérer, mieux comprendre ce que j’avais voulu me prouver avec cette campagne, et le risque que je courais de me décevoir d’abord moi-même, en plus de décevoir les autres…

Puis, je me suis remise en chemin. C’est un projet que j’aime, que je trouve beau, avec toutes ses imperfections. J’ai accepté que tout prenait plus de temps que prévu. Parce que j’avais changé de vie. Parce que le projet change avec moi. J’ai accepté que les gens qui m’avaient soutenue pouvaient être déçus pour certains, mais que ceux qui me connaissaient, même de loin, comprendraient que ça viendrait. Et que ça serait juste, comme ça viendrait.

En septembre, j’ai repris les événements à Toulouse avec une soirée sur le sens du travail, quand on ne rentre pas dans les cases et qu’on accepte difficilement « le monde de merde » dans lequel on vit. Je reviens de Nantes où j’ai organisé, avec ma chère Aleksandra Jezewski, une rencontre avec Corinne Morel-Darleux et Sandrine Roudaut (éditrice passionnée, auteure de l’Utopie, mode d’emploi et de Les Suspendu·es) sur l’utopie et le refus de parvenir.

Deux rendez-vous sont déjà prévus en 2020 :

  • le 13 février, à Bruxelles, avec Damien Van Achter, Mateusz Kukulka et Skan Triki. Nous causerons avenir des médias, fake news et importance d’une information de qualité dans un monde qui déraille.
  • le 27 mars, à Bordeaux, avec Vincent Mignerot, Fabrice Micheau et Pauline Dreux-Palassy. Nous questionnerons le rôle des atypiques dans le monde de demain.

Et ça me réjouit !

8. Trouver enfin l’éditeur qui m’aide à pondre mon livre

Cerise sur le gâteau, et pas des moindres, j’ai dénoué un très gros nœud ! J’ai compris que j’essayais de forcer l’écriture, comme un devoir, comme une contrainte, alors que je n’étais pas prête, alors que j’avais autre chose à faire de plus prioritaire. Surtout, j’ai trouvé l’éditeur idéal pour m’aider à accoucher du meilleur livre possible, après ces quatre années de quête et de péripéties.

Je ne dévoile pas son nom pour ne pas me porter l’œil (on signe tout début 2020), mais je sais qu’il est la personne que je cherchais sans la trouver… Des éditeurs intéressés par mon projet et mon parcours, j’en ai rencontrés quelques-uns. Mais aucun ne me semblait avoir le temps (ou la volonté de trouver le temps) de m’aider à construire une histoire à la hauteur de ce que je voulais transmettre. De m’accompagner dans la transcription de l’arbre déployé dans ma tête, mois après mois, en une histoire forte et intelligible, sans être exhaustive.

Il est là, il est arrivé ! Il ne fait pas le boulot à ma place, mais il me défie et me pousse dans mes retranchements ! J’ai quasiment finalisé le plan détaillé. Je devrai rendre le manuscrit avant l’été pour une sortie dans toutes les bonnes librairies (et dans les boites à lettres des contributeurs·trices !) d’ici la fin de l’année 2020-début 2021.

9. Mieux comprendre mon rapport au pouvoir

Il y a une chose un peu sous-jacente à l’ensemble de ces points, qui m’a sautée aux yeux cette année. Les rapports de pouvoir. Omniprésents, partout. Même dans les cercles écolo et/ou militants. Même dans les équipes qui poursuivent de fortes causes communes. Je ne parle même pas des sphères de pouvoir à proprement parler…

La sorcière et militante éco-féministe Starhawk fait un distinguo que je trouve éclairant (je sors à peine de la lecture de Rêver l’obscur que je conseille vivement…). Pour elle, notre civilisation est marquée par l’omniprésence du « pouvoir-sur » : la domination, l’aliénation. A l’école, au travail, dans le couple, dans les groupes : ce pouvoir-sur s’exerce sur nous autant qu’il nous façonne. On le subit, il s’insinue partout. A l’inverse, le « pouvoir-du-dedans » est cette puissance intérieure qui rayonne et construit une autre vision du monde. Où l’on n’a pas besoin d’écraser les autres et la nature mais l’on vit avec eux…

J’ai pris conscience que les quelques conflits vraiment violents que j’avais eus, notamment dans le cadre du travail, correspondaient à des situations où je n’avais pas voulu, pas toujours consciemment, me plier au pouvoir-sur. Je ne me laissais pas mater, je n’étais pas d’accord, je voyais les failles et les exprimais, presque malgré moi. (J’avais sûrement ma part, hein, on est toujours deux dans une relation, même toxique !) De nombreuses discussions cette année m’ont permis de relire ces situations. De mieux les comprendre. Et aussi de réhabiliter cette partie de moi qui s’est sentie coupable que ce « pouvoir-du-dedans » mal maîtrisé lui cause du tort.

Cela va de pair avec une réflexion bien plus vaste que je mène ces dernières années sur LE et LA politique. Je me découvre anarchiste (pas du tout au sens violent et chaotique mais au sens qu’illustre très bien Isabelle Attard dans son livre récent Comment je suis devenue anarchiste) et éco-féministe. Je creuse le municipalisme libertaire et la philosophie des communs. Je suis redevenue un animal politique, animé « d’amour et de rage », comme le dit si joliment Extinction Rebellion.

10. Cultiver « la dignité du présent »

Alors, bien sûr, tout ça semble bien dérisoire au regard de l’actualité. Crises climatiques en cours et à venir, violences politiques et policières qui essaiment partout, inégalités qui n’en finissent plus de se creuser… Petits pas et micro-gestes sont tellement inutiles au regard des énormes changements qu’il faudrait opérer pour limiter la casse environnementale et sociale, ici et ailleurs. Pourtant, il me parait important de faire, chaque jour, de mon mieux, pour tout.

Ça ne paraitra pas assez pour les uns, trop pour les autres… Comme le dit si bien Corinne Morel-Darleux (encore elle !), « on est toujours le bisounours ou le black block de quelqu’un »… Dans son merveilleux livre déjà cité, elle nous invite à réhabiliter la dignité du présent, à travers tous ces combats qu’on mène, non pas pour les gagner mais parce qu’on pense qu’ils sont justes.

Aujourd’hui, dans toutes les sphères de ma vie, j’essaie d’être digne. De faire ma part, même si c’est dérisoire. De me battre, même si je ne vois pas toujours et tout de suite des résultats. De planter des graines dans les esprits et dans la terre pour faire avancer des causes qui me paraissent essentielles. De rester debout.

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Flora Clodic

Plume raconteuse d’histoires. Jardinière de communautés. #Tribus Happycultrice #AuBonheurDesZèbres Collapso-something #Effondrement #Résilience